Vous connaissez cette coutume étrange qui veut que certains restaurateurs se croient autorisés à joindre à l’addition, une sucette, pour les dames !!! Que s’imaginent-ils, que l’addition est trop salée , que vous allez avoir besoin de compenser avec du sucré, que vous n’avez pas mangé à votre faim, que vous ne savez pas lire une carte, pas pris connaissance des prix, ou pas fait le plein de calories, que vous avez besoin de réconfort, que vous êtes sur le point de retomber en enfance Vous n’avez plus l’âge !
La dernière fois qu’un homme m’a offert une sucette, je devais avoir cinq ans. Il était pédiatre et fourbe, brandissait une seringue, s’apprêtait à m’en piquer, jurant que ce serait sans douleur, promettant que si j’étais sage, ne faisais pas fuir par mes cris ses clients en attente, la sucette du bocal serait mienne. Et que ma mère serait fière de sa grande fille de cinq ans, si courageuse. Et je tentais de ravaler mes larmes en maudissant le bourreau le menteur le séducteur de mères en taisant ces mots gros et interdits. Déjà, je savais que je me vengerai un jour …
Et la voilà l’occasion qui se représente ce jour, pas hier. Hier, j’étais en bonne compagnie, celle de mes copines rigolotes, celles dont la présence fait que rien n’est grave, tout devient drôle, dans un restaurant libanais délicieux, dont la seule faute de goût se résumait en la sucette. Alors, bien décidée à ne pas gâcher la soirée, j’ai fait disparaître l’objet de mon doux courroux (coucou), et me suis promis de lui faire sa fête, chez moi, sans témoin, en toute intimité …
Et puis soudain, je la vois là … Oui, là, la vieille cagole, de trois-quart face à moi, toute en anglaises, blondeur, petit nez et gros seins, fioritures et appâts qui ne doivent rien à Dame Nature. Et oh mon Dieu !… La voilà, la bouche en cœur qui gobe la friandise, la tourne, retourne, aspire, fait disparaître le bâtonnet, joue de la langue, la fait réapparaître, lêchouille, l’engloutie et recommence. Comprenez ma sidération à la vue au sort réservé à cette pauvre sucette. Et la blonde de sautiller sur son siège, le regard acéré son dévolu sur mon voisin de table.
Mauvaise pioche, elle me fait décidément pitié, la malheureuse blondasse. L’objet de son désir, se trouve être, à n’en pas douter, friand de ses congénères. Elle seule semble l’ignorer. Courageuse et pathétique, elle s’escrime, roule des yeux … et manque s’étouffer !
Mon paiement accompli, c’est en toute hâte que j’ai quitté la scène de cette humiliante tentative de crime : celle d’une pauvre et innocente sucette exécutée par une bouche impudique aux papilles insensibles et endormies.